🛋️ Ni divan, ni psychanalyse : Le soin sans le mystique

Pulsions, complexes et bourgeoisie : un contre-transfert de classe

Temps de lecture estimé : 10 minutes

Connaissances requises : Niveau intermédiaire

💡 Introduction : Pourquoi cette page ?

Il peut être difficile, aujourd’hui, de trouver un chemin sérieux et sécurisant parmi les multiples théories psychologiques disponibles. Entre héritages confus, courants mystifiants, références floues et discours parfois pseudoscientifiques (voire sectaires ¹), beaucoup de personnes se sentent perdues, voire méfiantes.

Cette page vise à clarifier mon positionnement en tant que praticien : je propose un accompagnement délibérément éloigné des cadres psychanalytiques, que je considère incompatibles avec une démarche critique, politique et matérialiste du soin.

Elle s’adresse à toute personne curieuse de comprendre les divergences profondes entre les différents courants du soin psychique. Elle s’adresse aussi à celles et ceux qui ont ressenti le besoin de se reconstruire hors des modèles dominants, parfois violents, parfois abscons, souvent inadaptés — et qui cherchent un cadre de pensée plus lisible, plus ancré, plus respectueux de leur expérience.

1. L'héritage pesant de la psychanalyse

La psychanalyse est longtemps restée hégémonique Qui domine largement un domaine au point de rendre les autres positions marginales ou invisibles. en France dans le champ de la psychologie et de la psychiatrie, et continue aujourd’hui d’y occuper une place centrale. Une étude parue en 2020 dans la Revue Européenne de Psychologie Appliquée indiquait que près de 46 % des psychologues cliniciens en France s’identifient au modèle psychodynamique, contre 22,6 % pour les TCC et 15,9 % pour les approches humanistes (Bruchon-Schweitzer et al., 2020²), un chiffre sans équivalent en Europe.

Cet héritage a fini par devenir presque invisible : on ne sait parfois plus si l’on a affaire à un travail sérieux, capable de remettre en question ses propres biais épistémologiques Qui concerne la manière dont les savoirs sont construits, validés et légitimés. , ou à un recyclage mal digéré d’héritages flous, comme si la pensée critique avait été réduite à un transit symbolique embarrassant. Elle imprègne ainsi certains discours médiatiques, cliniques, voire familiaux, sans que son influence soit toujours identifiable.

Il n’est pas question de nier l’influence historique de ce courant, ni les expérimentations institutionnelles qu’il a inspirées. Certaines ont marqué une rupture importante avec la psychiatrie asilaire, et ont ouvert des espaces d’invention collective. Mais cela ne saurait suffire à en justifier la persistance ou l’hégémonie actuelle.

« Une théorie qui n'est réfutable par aucun événement concevable est dépourvue de caractère scientifique. »

Karl Popper, La logique de la découverte scientifique

2. Marx + Freud : Un mariage toxique ?

La France du XXe siècle a connu une tentative très singulière : marier psychanalyse et marxisme Courant politique et théorique centré sur l’analyse des rapports de pouvoir entre classes sociales, les structures économiques et les conditions matérielles d’existence. . Chez Guattari, Oury, Tosquelles, ou encore Deleuze, cette idée émerge : l’inconscient est politique, et les institutions peuvent être transformées à travers une lecture à la fois psychanalytique et révolutionnaire.

Cette tentative est née d’un besoin réel de critiquer la psychiatrie asilaire Modèle historique d’enfermement psychiatrique centré sur l’institution totale, souvent associé à la réclusion, à la perte de droits et au contrôle social. , autoritaire et déshumanisante — un besoin légitime et urgent. Mais si l’objectif était de libérer les institutions, l’effet a parfois été inverse : en associant les limites théoriques de la psychanalyse avec les analyses sociales et concrètes du marxisme, on a souvent obtenu une forme de soin obscure, hiérarchique, et paradoxalement déconnectée des véritables problèmes qu’il prétendait résoudre.

Là où le marxisme analyse les rapports sociaux dans leur réalité matérielle, la psychanalyse propose une interprétation symbolique et souvent rigide. Cette alliance, que je vois comme un bricolage idéologique daté, ne permet pas de développer une pratique du soin réellement critique au sens moderne du terme.

Infographie illustrant les effets inverses du mariage Marx + Freud

Une tentative de libération institutionnelle... qui débouche sur une reconduction des rapports de pouvoir.

3. Pourquoi je rejette la psychanalyse

Je rejette la psychanalyse sur trois plans :

  • Épistémologique : ses concepts sont non falsifiables, ses théories dogmatiques. Elle repose sur une logique interne circulaire, souvent imperméable à la réalité empirique ou à la pluralité des savoirs.
  • Politique : elle produit une normalisation forte. De nombreuses figures psychanalytiques ont légitimé des visions sexistes, homophobes, capacitistes, en les présentant comme des « structures » universelles. Elle individualise les souffrances sociales, les dépolitise, et culpabilise les sujets au lieu de les relier à leurs contextes.
  • Cliniquement : elle place le ou la praticien·ne dans une position d’interprète souverain, qui détient la clé du sens. Elle valorise le silence, le mystère, la frustration, plutôt que la clarté, la relation, la co-construction.

Je préfère penser le soin comme un espace de déconstruction partagée, située, transparente, politique au sens où il s’agit de redonner du pouvoir à celles et ceux à qui on l’a retiré. Cela implique nécessairement une relation horizontale avec la personne, dans laquelle on supprime toute dimension d'autorité en ne se positionnant pas comme un "sachant" disposant d'outils qui vont lui révéler une vérité universelle et secrète.

4. Le contre-transfert de classe

Dans les pratiques issues de la psychanalyse, les projections du ou de la praticien·ne sont interprétées comme un phénomène psychique personnel — le fameux « contre-transfert ». Mais qu’en est-il des projections de classe ? De ces lectures implicites qui transforment une détresse sociale en symptôme individuel, un rejet de l’école en refus du père, une hostilité envers l’institution en névrose familiale mal résolue ?

Je propose ici un autre usage du terme — un peu moqueur, je l'admets, mais pas si absurde : le contre-transfert de classe. C’est ce moment où le·la thérapeute, sans même en avoir conscience, mobilise un cadre d’analyse issu de sa propre position sociale (souvent blanche, bourgeoise, universitaire, et neurotypique), pour interpréter l’expérience d’autrui — souvent précaire, racisée, marginalisée — selon une grille normative. L’histoire personnelle est alors digérée par un appareil symbolique qui naturalise les rapports de pouvoir au lieu de les exposer.

Ce transfert inversé n’est jamais nommé, jamais analysé — car dans bien des formations psychanalytiques, le social est ce qui gêne, ce qui trouble la pureté du fantasme. Et c’est précisément là que se situe le danger : quand le soin devient un dispositif de reconduction symbolique de l’ordre social, sous couvert d’interprétation.

📚 Références

¹ Rongé, J.-L. (2009). Dérives sectaires en psychothérapie. Journal du droit des jeunes, 285(9), pages 8 à 15. Lire sur Cairn

² Bruchon-Schweitzer, M., et al. (2020). French psychologists’ theoretical orientations: The dominance of the psychodynamic model. Revue Européenne de Psychologie Appliquée, 70(6), 100570. Lire l’article

Retour en haut